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Noir d'Encre
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4 juillet 2012

Myriam Silien, haïtienne de coeur

 

Myriam

 

Myriam se sent « presque plus haïtienne que française ». Ce qui lui manque le plus quand elle est en Haïti ? « Les saisons et les forêts. »

C'est une cour de domaine comme il y en a beaucoup dans le bocage bourbonnais, pleine d'herbes folles et de machines abandonnées où se perchent les enfants. Pendant que les parents de Myriam finissent de déjeuner, nous nous installons devant la maison, au milieu des fleurs. Myriam a trente-six ans, mais elle en fait bien dix de moins. C'est probablement sa manière de s'exprimer, tellement simple et directe, comme les enfants. Elle me raconte justement son enfance au contact de la nature.

Elle est née à Oullins en 1973. Son père, normand, est responsable administratif régional chez Japy-France, une société qui fabrique des machines à écrire. Sa mère, belge, est institutrice. Il y a déjà un petit garçon. Deux autres suivront. Ayant lu et entendu Lanza del Vasto (disciple de Gandhi), les parents de Myriam décident en 1974 de changer de vie et de faire leur retour à la terre : ils louent une première ferme en Belgique. "On a grandi dans des fermes. La dernière, c'était une ancienne mine, avec des taillis très sauvages et des galeries, heureusement assez bouchées, sinon nous serions sûrement tombés dedans ! On participait aux activités de la ferme, selon nos capacités, mais on ne s'en rendait même pas compte. On avait une très grande liberté. On mettait des heures à aller chercher les vaches dans les taillis. Sur le chemin, on se faisait des opérations survie… On passait le long des falaises sur des décrochements de quelques centimètres, en s'accrochant aux arbustes…"

Elle rêve de théâtre, mais le film de l'abbé Pierre Hiver 54 en décide autrement : elle marchera sur ses traces

Elle a presque douze ans quand ses parents viennent s'installer dans un domaine de l'Allier, proche de l'école Steiner de La Mhotte. Jusqu'ici scolarisés à domicile par leur maman institutrice, les petits voient une école pour la première fois de leur vie. Myriam, qui a vécu jusque-là hors de la société de consommation, découvre la vie sociale, les musiques et les marques à la mode, les regards moqueurs des autres enfants sur ses vêtements simples. Elle s'adapte cependant et apprécie les activités artistiques de l'école, surtout le théâtre. Elle veut être actrice. Mais à seize ans, elle voit le film Hiver 54 de l'abbé Pierre. C'est le choc : elle marchera sur ses traces.

Myriam ne trouve pas utile de passer le bac malgré les conseils de ses professeurs. Elle veut s'en aller. Mais elle n'a aucun diplôme. "Tu vois bien, passe ton bac…" Pas question. Elle part finalement deux ans dans une communauté de vie (communauté Camphill) pour handicapés mentaux en Belgique. Elle y apprend la maîtrise de soi, l'attention aux autres, à garder son calme et son autorité en cas de crise de la part des handicapés. "Ils ont une grande sensibilité, ils détectent notre anxiété, notre malaise et réagissent immédiatement." De retour en France, elle fait une formation d'aide soignante et apprend l'espagnol pour partir en Amérique du Sud.
Myriam rentre en France, épuisée par le travail, la malaria, le paludisme, le manque d'hygiène...
Finalement, elle ira aider soeur Flora dans l'orphelinat de l'Île à Vache, en Haïti. Elle travaille pendant six mois pour payer son billet et part pour neuf mois. Là elle découvre le dénuement. Il n'y a rien. Les enfants, des handicapés dont certains sont grabataires, vivent par terre sur des toiles cirées, dévorés par les mouches et les fourmis, couverts de plaies. On n'a ni lit, ni matelas, pas de couches, très peu d'eau et uniquement saumâtre pour les laver et faire la lessive… Myriam travaille jour et nuit. Elle n'a presque plus ni faim ni sommeil. Quand elle passe des heures à nourrir une petite hydrocéphale qui ne sait pas manger toute seule, pendant que les autres manquent de tout, elle se dit que c'est une goutte d'eau dans la mer. "Oui, mais pour le petit, c'est un océan". Petit à petit, on achète des matelas pour les enfants. Myriam essaie de les asseoir, de les changer de position pour les soulager. Elle les emmène sur un âne jusqu'à la mer pour les baigner.
Au bout de ses neuf mois, Myriam rentre en France, épuisée par le travail, la malaria, le paludisme, le manque d'hygiène et les infections diverses contre lesquels un organisme européen n'est pas immunisé. "Je me soigne, et j'y retourne" dit-elle. En même temps, elle travaille pour payer son billet de retour. Quand elle rentre en Haïti, elle est la seule européenne avec Sœur Flora. Heureusement, elle est très soutenue par Jean-René, un jeune menuisier haïtien avec lequel elle noue une amitié qui lui permet de tenir. "On était toujours dans l'urgence : un accouchement, des blessures graves, un malade à veiller…." Il y a aussi les enfants qui meurent. "Robinson avait la tuberculose. Il était dans le coma depuis plusieurs jours. Il avait fait plusieurs arrêts cardiaques et on l'avait réanimé." Seule avec le petit, elle se dit  que ça ne sert à rien. "Alors il a ouvert les yeux et s'est mis à pleurer. Je l'ai pris dans mes bras, il m'a souri, presque un éclat de rire. Et il est mort. On l'a mis à la chapelle. Je suis allé écrire ce qui s'était passé. Quand je suis revenue, il avait un sourire merveilleux sur le visage. Quand les enfants mouraient comme ça, je pleurais, mais je n'étais pas triste : ils souffrent tellement ! Mais je n'ai jamais été aussi heureuse. On sentait qu'on vivait pour quelque chose de vrai."
Avec Jean-René, elle vit comme les femmes du pays  dans une petite maison au toit de tôle
Elle vit et travaille depuis deux ans avec Sœur Flora quand elle épouse Jean-René. Ils auront trois petits garçons, Paolo, Julien et Sylvain. "Au début, on n'avait pas de maison, on vivait comme l'oiseau sur la branche". Ils se construisent bientôt une petite maison haïtienne de pierre et de chaux recouverte de tôle où Myriam vit comme les femmes du pays : elle apprend à porter les seaux d'eau sur la tête ("au début, on s'arrose un peu mais ce n'est pas grave, il fait chaud !"), à cuisiner sur un feu de bois.

Avec de l'argent que lui envoient ses parents et amis, Myriam soutient la grande famille de sœur Flora : on creuse des puits et on construit des citernes, on tente d’introduire le four solaire et une sorte de fourneau qui brûle 7 fois moins de bois qu'un feu à cuisson traditionnelle au bois entre trois pierres, on fabrique des briquettes avec des copeaux et du papier de récupération. C'est ainsi qu’est née, au gré des besoins "Ti gren la vi Haïti" (Petite graine de vie pour Haïti).

C'est par l'éducation qu'on pourra petit à petit porter remède aux maux immenses dont souffre ce pays, le plus pauvre du monde

Quand ses enfants sont en âge scolaire, Myriam fonde une école et un jardin d'enfant avec Florence, une amie française et Marie-Claude sa voisine haïtienne qui devient jardinière d'enfants. En 2006, Myriam et Jean-René quittent l’Île à Vache pour des raisons familiales et s'installent avec l'école à Torbeck sur la grande terre. « l'école du village », gratuite, donne aux enfants une formation inspirée de la pédagogie Steiner, respectueuse de leur liberté d'expression et de leur culture, destinée à favoriser non seulement leur développement physique et intellectuel mais aussi leur sensibilité par des activités artistiques. On y forme également des professeurs et des accompagnants, pour pérenniser le projet pédagogique. Ailleurs en Haïti, l’enseignement des enfants « à la baguette selon le modèle coutumier » est fait « d’autorité d’une part et de crainte d’autre part ».

Myriam est persuadée que c'est par l'éducation qu'on pourra petit à petit porter remède aux maux immenses dont souffre ce pays, le plus pauvre du monde. C'est à travers les enfants qu'on apprendra aux parents à économiser le bois, à ne plus couper les arbres pour éviter l'érosion et l'appauvrissement des sols, à replanter, à ne pas tuer pour rien les oiseaux qui mangent les insectes, etc. Les humanitaires ? C'est très bien, mais ils vivent mieux en Haïti qu'en France ! De plus les missions apportent des denrées gratuites, ce qui fait baisser le prix des marchandises locales, entraînant la disparition des productions agricoles et artisanales de l'île. Non décidément, ce sont les Haïtiens eux-mêmes qui changeront les choses en Haïti.

Et la terre a tremblé

Le 12 janvier 2010, tout s’est mis à bouger. A Torbeck, c’était plus doux ; certains s’interpellaient en riant « mais pourquoi tu me pousses ? » Myriam, fatiguée ce jour-là, s’est crue prise de vertige. Jean-René, lui, a tout de suite compris et entraîné sa femme dehors. Là, elle a vu les maisons pencher, les arbres bouger depuis le tronc jusqu’à la ramure. Un peu plus tard, la réalité du tremblement de terre s’est imposée : la grande maison d’école, gravement lézardée, était devenue inutilisable.

Malgré l’interdiction gouvernementale, Myriam rouvre l’école, mais à l’extérieur des bâtiments, pour que les enfants puissent retrouver une vie régulière et échapper au moins partiellement à l’ambiance de catastrophe générale. Pour eux, c’est également l’assurance d’un repas par jour, parfois deux : ceux qui arrivent à l’école le ventre creux ont aussi droit à un petit-déjeuner.

Dans les premiers jours après le séisme, un enfant d’une autre école, accueilli à « l’Ecole du village » en urgence, discute avec les autres du nombre de repas perdus à cause des jours d’absence dus au tremblement de terre : « Si on ne vient pas dans cette école pendant un jour, on perd plus qu’un repas. On perd la connaissance ! Même si je suis dans une classe plus haute dans mon école, j’apprends plus ici. »

On fait donc la classe dehors. Les réfugiés affluent de la capitale où le séisme a presque tout détruit. Le nombre d’élèves augmente. Ils étaient quarante-six au mois de janvier 2010, ils sont quatre-vingt quatre aujourd’hui et une bonne centaine de repas sont servis chaque jour.

Quoi qu’il en soit, il faut continuer, nourrir tout ce petit monde et ceux qui s’en occupent, reconstruire. La maison d’école est aujourd’hui en cours d’achèvement, et cette fois-ci aux normes sismiques. Le 4 février, Myriam vient de mettre au monde une petite Marie, sa première fille, dont elle dit avec émerveillement : « c’est un ange ! » Malgré le sentiment d’insécurité qui demeure, elle ne perd pas courage. Pour elle, un signe d’espoir : pas un seul arbre n’a été déraciné !
Et aujourd'hui ?
Association "Tigren lavi Haïti", Saint Rassand 03210 Agonges.
CCP 3 461 84 U CLE

 

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