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Noir d'Encre
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1 septembre 2010

Liaisons douces, honnêtes, risquées, dangereuses et autres pataquès

Quelques réflexions sur la liaison, ses joies et ses dangers

ChbaudelaireIl est des liaisons justes et bienfaisantes et d'autres corrompues grasses et triomphantes… Qu'on me pardonne ce mauvais pastiche de Baudelaire. La liaison est cependant bien une sorte de parfum du langage. Elle l'enveloppe, l'habite, le colore, comme un parfum léger qui sait se faire oublier pour ne mettre en valeur que celui qui le porte.

Le petit "r", le petit "z", le petit "t", le petit "n" qui vous entraînent de mot en mot en (n')effaçant l'hiatus qui coince. Ah ! La liaison … Ecoutez-la cette touche légère qui souligne en douceur la musique des mots ! Que la liaison est belle et comme elle flatte l'oreille ! Comme elle est douce, comme elle est fière de sa science et de son à-propos ! Comme elle nous alerte aussi quand elle manque : halte au h ! Aspirons, aspirons.

La liaison ne lie pas que les mots, mais aussi ceux qui les disent.

Selon wikipedia : " La liaison est un type de sandhi externe (modifications de prononciation que subissent les mots dans un énoncé) propre au français… Du point de vue de la phonétique, la liaison est une forme de paragoge, donc un métaplasme." Ah qu'en termes galants ces choses-là sont mises ! Je vous fais grâce de la définition du paragoge et du métaplasme, qui nous conduiraient tout droit à la prosthèse, la crase, la coalescence et même à la syncope… J'en passe. Ce serait trop.

Paul_VerlaineLa liaison ne lie pas que les mots, mais aussi ceux qui les disent. Ne lie-t-elle pas entre eux les parleurs les plus purs ? Ceux, en particulier, qui d'une voix moelleuse distillent le savoir. Philosophes de France Culture, si vous saviez comme votre voix, lointaine et calme et grave, résonne en moi comme le son du cor, le soir au fond des bois. Vos liaisons m'enchantent. Elles glissent dans un monde idéal, échappent aux pièges les plus subtils, conjuguent avec adresse, accordent en douceur. Ah ! Je vous aime !

On distingue le pataquès, le cuir, le velours et la psilose

Mais tout homme est faillible (les femmes aussi, bien sûr). Il arrive parfois qu'une lettre vous échappe, se glisse là où elle n'avait rien à faire. N'allons pas jusques aux (z')haricots, qui bien sûr, quoique récemment autorisés, sont le signe d'un esprit lourd, d'une ignorance crasse. Mais pensons aux (z')handicapés si fréquents de nos jours, depuis que le handicap est passé des hippodromes et des terrains de golf aux instituts spécialisés. Citons aussi cette phrase entendue sur les ondes les plus respectables : "par delà la droite et la gauche, il s'est adressé (r')au peuple"…

Parlait-on du Général (le seul, l'unique… De Gaulle, évidemment) ? C'est probable. Lui, l'homme des certitudes, n'aurait jamais fait ce "pataquès". Qu'est ce pataquès ? L'erreur de liaison, bien sûr. On distingue le pataquès, le cuir, le velours et la psilose. Pour éclairer ces passionnantes énigmes sans alourdir mon texte, je vous renvoie (z' !) à un site qui fait mes délices, "monsu desiderio". Dans le même style, vous pouvez consulter le "Petit champignacien illustré", blog du même auteur.

La liaison est un phénomène subtil, nourri d'habitude, d'inconscient

Outre les liaisons honnêtes ou dangereuses, il y en a aussi de risquées, d'abusives, de lourdes, d'intégristes, même. "Mot à mot" en demande une, "de mot en mot" n'en voudrait pas ou bien vous passerez pour cuistre. Et que dire du journaliste de radio ou de télévision qui anticipe sur une suite encore dans les limbes et finalement change de monture au milieu du gué, laissant sa liaison en suspend : "Ils voulaient(t')… lui dire, etc." Liaisons qui ne sont pas que le fait de prétentieux, mais parfois du tout petit enfant qui vous demande "quante Maman reviendra".

C'est que la liaison est un phénomène subtil, nourri d'habitude, d'inconscient (Ah ! Ce "l'on" inutile qui épargne les oreilles trop chastes après "que" !). On ne la choisit guère, elle vous monte aux lèvres avant même d'avoir pu la maîtriser : elle vous trahit parfois, révélant votre hâte, votre hésitation, votre vanité, voire votre ignorance. Elle s'absente du verbe bonhomme, partie à la pêche en attendant que revienne le beau langage. Elle structure la lecture à voix haute, au lit du malade ou du petit enfant prêt à s'endormir. Elle frétille dans les discours de l'enseignant, scande la pompe politique et surtout religieuse.

Elle a quelque chose du piano : on peut jouer avec elle et le discours prend de l'ampleur ; sans elle, il est tout simple, presque enfantin ; on la laisse en suspens en attendant la suite et l'auditeur retient son souffle avec vous ; maniée sans grâce, elle devient le tombeau du discours prétentieux… On peut en apprendre les règles mais il n'y a, au bout du compte, que la musique des mots qui compte vraiment.

Lions donc en douceur. Ne cherchons pas l'effet mais la sauce légère et son parfum discret qui fait la cuisine parfaite.

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